Assez de l’émoji Pouce Like, utilisez-en d’autres, sinon des mots!

Faites-vous partie de celles et ceux qui continuent de cliquer sur « J’aime » pour répondre à une question ? Que ce soit sur les réseaux Facebook ou LinkedIn ou d’utiliser le pouce levé dans vos conversations WhatsApp? Cet émoji Like me sort par les yeux, et apparemment je ne suis pas le seul : certains /Américains/ de la Génération Z (née entre 1997 et 2010) l’auraient également pris en grippe au point de vouloir le « canceller ».

Ah, le « J’aime » ! Ce symbole d’un monde nouveau, communautaire et bienveillant, imaginé ou plutôt promu par le géant de Menlo Park, a vieilli. Qu’on se le dise, ce pouce ne représente sur le web rien de très profond. Preuve en est, les deux réseaux sociaux Facebook et LinkendIn ont été contraints de décliner les émotions de base, pour offrir un peu plus d’aspérité aux réactions à des posts et billets de vos fils d’actualités.

Aujourd’hui, loin d’être une approbation positive reconnaissant une saillie ou une action, un synonyme de « bravo » en somme, l’émoji Pouce Like indique au mieux la bonne réception d’un message, au pire, il est rempli du même dédain qu’un doigt d’honneur. D’aucuns lui reprochent en effet son côté « passif-agressif », donc susceptible de heurter. Or, « blesser » quelqu’un est la dernière des choses à faire si l’on veut que chacun se sente à sa place dans le monde… 

L’an dernier, un fil du macro-forum Reddit a eu un succès inattendu, au point de faire l’actualité à l’automne. Son titre : « Am I not adult enough to be comfortable with the “thumbs up” emoji reaction? ». L’auteur prenait, semble-t-il, ses distances avec l’émoji « thumbs up ». Et beaucoup s’y retrouvaient. Je n’ai pas vu cet article avant que l’auteur ne le supprime, mais je l’applaudis des deux mains, à retardement. Cela fait longtemps que je le perçois comme la pire des réponses possibles.

Il m’est souvent arrivé de passer du temps sur un message privé, plein de cette authenticité si recherchée et de style, pour avoir pour tout retour même pas un mot, une image d’un jaune de Damas peu inspirant, insatisfaisant au possible.

Un émoji ne vaut pas 1000 mots

Par égard pour un message et son auteur(e), on ne devait pas recourir à un émoji artificiel du « tout va bien, c’est sous contrôle — next! ». Souvent, l’émoji Pouce Like charrie un sous-entendu, imperceptible, qui ne le rend pas sympathique. Ce n’est pas parce que c’est commode pour le destinateur que c’est agréable et clair pour le destinataire. Une image vaudrait mille mots, la formule attribuée à Confucius (?) est connue et montre ici ses limites. Un émoji ne garantit pas la bonne compréhension. En cela, il ne peut se suffire à lui-même. Le contexte sera toujours un élément clef de la communication.

Alors, bien sûr, si, à ce même long message, écrit avec le cœur, on me répond en toutes lettres « j’aime », rien ne dit qu’il n’y ait pas une ironie, sinon de l’hypocrisie. Je ne dis pas que l’écrit est mieux, mais qu’il serait préférable. Le rapport à l’alphabet est différent et la phrase, tapée au clavier, m’apparaît moins violente. Il y aurait un travail de recherches à faire pour vérifier ce ressenti.

Langage, signes et sens cachés

Depuis peu, WhatsApp dans la lignée de Telegram propose de choisir ses émojis pour réagir directement à un message. L’effort inhérent au choix est déjà plus courtois qu’un clic du coin de l’œil quand l’expression de la pensée se fait un peu plus précise. C’est donc la preuve que pour développer ses idées, on a besoin d’un corpus de mots. Le langage ne se limite pas à un signifiant et à un signifié. Et, que ce soit avec du texte ou des images, il autorisera toujours les doubles sens.

C’est là où je ne suis pas d’accord avec le journaliste John Brandon, auteur d’un article sur le sujet, paru sur Forbes.com. Lui estime que l’on devrait s’en tenir à un seul sens… parce qu’il n’a pas le temps d’apprendre les nouvelles significations — et c’est vrai que les utilisateurs et utilisatrices ont développé tout un argot. On connait a minima l’idée derrière l’aubergine… Un pouce levé ne signifie pas « pouce levé ». Il y a une intention derrière, à prendre en compte.

Novlangue et appauvrissement de la pensée, l’émoji Pouce Like

Cette réflexion nous fait déboucher sur la novlangue de ce bon vieux George (Orwell).

La réduction de l’expression, le conformisme et la stéréotypie sont une vraie menace pour la critique et l’intercompréhension. Personne ne voit le monde de la même chose et ce n’est pas normal d’avoir à accepter les décisions du Consortium Unicode. Pourquoi y a-t-il une seule chemise, cravatée ? Pourquoi les personnes en fauteuil roulant regardent-elles vers la gauche (culturellement, en direction du passé) ?

On devrait avoir le choix de redessiner ces émojis, nos émojis, et pas simplement de décider de la couleur de peau qui nous ressemble le plus.

Sur Reddit, on observe des pro et des anti-Thumbs up. Le sujet lui-même est passé de mode, comme bien souvent sur le web. Tant pis s’il y avait une question de fond. Après la tornade, l’accalmie bancale.

Ce billet surgit ainsi comme un « souviens-toi ». Chacun a son point de vue sur le « Pouce like » comme sur le reste des mots. C’est encore heureux. Ce débat aura souligné la vulnérabilité des tranches d’âge antérieures aux Générations Z et alpha, vis-à-vis du langage et des us et coutumes qui ne sont pas immuables. Peut-être que la technologie et le droit nous autoriseront à élargir nos horizons, pour ne plus nuire à nos imaginaires.

Quid du j’aime d’Instagram ? 

Reste le cas d’Instagram, où un cœur signifie précisément « J’aime ». Il n’est plus tellement nouveau, sans pour autant être passé de mode. Le symbole de l’amour serait-il éternel, lui ? Qui sait ! Celui-là est en tout cas presque vidé de son sens et sans compétition. En gros, il ne fait pas débat. C’est bien aussi.  

Illustration: ©TR

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