L’émission, ou plutôt le programme, d’Amazon Prime Video, LOL! Qui rit sort, a marché du tonnerre pour sa 3e saison. Tellement que les responsables se sont sentis pousser des ailes. Las, ils ont été mal inspirés en pensant que leur concept pourrait intéresser Blanche Gardin, une humoriste, comédienne qui avait déjà décliné une reconnaissance nationale remise par le gouvernement français.

Un peu d’esprit dans sa lettre à Amazon

Plutôt que de refuser le projet en coulisses, comme cela se fait dans son milieu, la Française a décidé d’annoncer son refus dans une lettre ouverte à l’attention de ce « Très très cher Monsieur Bezos » (attention, jeu de mots sur « cher »). Derrière l’exercice de style, un pari à double-tranchant, loué par les uns et tancé pour son hypocrisie par les autres.

Respectant les formes du courrier à des fins parodiques et burlesques, Blanche Gardin montre sa maitrise des codes et des formules.

  • Formule d’appel,
  • Tournures « Je suis au regret de »
  • Ouverture finale  « Si ça vous donne envie de repenser entièrement votre entreprise, alors peut-être que vous pourriez me réinviter ultérieurement. Et que je pourrais accepter. Lol. »

Elle s’adresse pleine d’ironie, mais poliment à un homme, qui, avouons-le, ne la connait pas.

  • en tant que troisième fortune mondiale, vous le savez, il faut de bonnes dents bien longues pour réussir dans ce monde. (…) Seulement voilà, ce jour-là, j’ai dentiste.
  • Si toutefois, me lisant, vous tombiez des nues, ou de l’espace (je connais pas votre emploi du temps ces jours-ci)

Blanche Gardin s’est fait connaître par son humour provocateur et son goût pour le langage « fleuri ». L’apostrophe est en cela conforme à son style. À chacun de voir si son humour fait mouche. La dernière phrase, ponctuée par « Lol » est clairement bien trouvée. Mais il n’y a pas que la forme. Et le fond a quelque chose qui ne va pas.

Les Mauvais calculs de Blanche Gardin

Il se trouve aussi que je serais gênée aux entournures (pour ne pas dire que ça me ferait carrément mal au cul) d’être payée 200 000 euros pour une journée de travail même si je perds à votre jeu, quand l’association caritative de mon choix remporterait, elle, 50 000 euros, c’est-à-dire 4 fois moins, et encore, seulement si je gagne.

Sur le principe, chacun réfléchira à ce qu’on peut faire avec 50 000 euros, surtout une association, d’une part, et d’autre part, ce que représente réellement 200 000 euros pour une performance d’une comédienne ou d’un comédien dont l’oeuvre sera vue par des millions de gens. Le coup de griffe s’apparente surtout à un mauvais calcul ; le refus s’entend comme une occasion manquée d’aider concrètement un organisme à but non lucratif.

Ainsi, elle reproche à Amazon de ne pas payer d’impôts en France, de polluer, de nuire aux commerces de proximité et à la santé mentale de ses employés, en plus d’exploiter de la main d’oeuvre ouïgoure persécutée… Autant d’éléments qui sont importants à rappeler : la maison-mère de LOL! Qui rit sort, est loin d’être une oie blanche. Sans doute, ce géant du e-commerce, l’un des A de l’acronyme GAFAM est encore trop oublié des médias traditionnels. Elle donne un coup de projecteur avec le risque de se le prendre sur la tête.

En tant qu’actrice et auteure de films, je caresse le rêve un peu fou que mes futurs projets puissent sortir dans une salle de cinéma. (…) Je n’ai pas envie que dans dix ans plus personne n’aille au cinéma et qu’on soit tous en train de mater des séries sur le canap’ en se faisant livrer des burgers par des sans-papiers qui pédalent sous la pluie.

Avec une telle sortie, pas sûre qu’elle ait des relais et des financements à l’avenir. Quand l’avenir est moins au cinéma et à l’expérience collective qu’au repli dans le confort de son chez soi. Elle n’a pas envie de voir disparaître les « salles obscures », mais le public a-t-il encore envie de fréquenter des endroits aux abords parfois mal famés et où les gens se comportent de moins en moins bien ?

A propos de dissonance cognitive

Le plus savoureux de cette diatribe est peut-être que Blanche Gardin passe par Facebook / Meta pour s’exprimer, une plateforme pas exempte de tous reproches. Mais là n’est pas le sujet…. Ou plutôt si, c’est bien là que le bât blesse et que les dissonances cognitives apparaissent.

J’ai bien conscience que le niveau de dissonance cognitive est très élevé à notre époque…

Entre l’utilisation de ce « F » des GAFA, sa présence sur Netflix, le soutien de Canal+… bref, de par son statut d’auteure et d’actrice, elle est liée aux médias. Qu’elle ne souhaite pas travailler pour Amazon Prime Video est pleinement son droit, qu’elle souhaite rappeler à l’opinion publique les dysfonctionnements d’Amazon aussi (et toujours bienvenue)… Mon reproche tient simplement dans son argumentation, bancale, et son manque de respect pour le public, composé essentiellement de gens qui « consomment » les séries et les plats livrés à domicile.

D’ailleurs, on passe sur la balle perdue en direction d’Uber Eats, qui est une entreprise également plébiscitée, à la fois par les consommateurs et par les chercheurs d’emploi. Sur ce point-là, Jeff Bezos n’a a priori pas son mot à dire… Il n’est même pas rancunier : on peut encore acheter le livre de Blanche Gardin, Il faut que je vous parle

Illustration : ©Facebook/Meta – Blanche Gardin

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